Dessin : Jacques Tardi
Editeur : Casterman
92 pages
date de sortie : janvier 2014
genre : Historique
Août 1914, le soleil écrase la campagne française de ses rayons brûlants. Les français, pour majorité agriculteurs et paysans, sont aux champs quand résonne le son monotone du tocsin. Une cloche qui sonne à 16h, c’est inhabituel. Quand d’un village à l’autre elles se font écho, c’est inquiétant. Toutes les cloches de France sonnent le tocsin … Petit à petit les Français comprennent. Ils cessent leurs activités, les mains lâchent les outils, les visages sont graves, surtout ceux des femmes qui comprennent plus vite que les hommes que ces cloches sont les cloches du malheur, annonciatrices de millions de tragédies familiales.
C’est la guerre. Les Français sont mobilisés, et contrairement à ce que disait Poincaré, la mobilisation c’est bien la guerre. Les Français y vont de bon cœur, parait-il. Mais sur les millions de mobilisés, il y en a bien quelques uns qui trainent des pieds pour y aller.
C’est le cas de cet ouvrier tourneur qui ne voit pas les évènements à venir d’un très bon œil, et qui n’a franchement pas envie d’accrocher une fleur à son fusil.
Nous allons suivre cet ouvrier sur les premiers champs de bataille. Croulant sous un équipement désuet, inadapté, il verra ses camarades tomber par milliers, comme des mouches. Il comprend rapidement que lui et ses millions de camarades ont mis le pied dans un putain de bourbier …
Année du centenaire de la première guerre mondiale oblige, Les éditions Casterman rééditent ce chef d’œuvre de Jacques Tardi et de Jean-Pierre Verney. Publié initialement sous forme de journal entre 2008 et 2009, cet ouvrage avait déjà fait l’objet d’une publication en intégrale, mais en 2 tomes.
Nous avons donc aujourd’hui une nouvelle intégrale en un seul volume, reprenant les années 1914 à 1919 plus 40 pages de commentaires de Jean-pierre Verney.
Ce livre est un chef d’œuvre dans sa forme et dans son contenu. En suivant le quotidien d’un soldat inconnu, les auteurs nous donnent un cours d’Histoire en mettant toujours en avant les petites histoires de ceux qui font la grande. De 1914 à 1918, l’Histoire du conflit est restituée dans son intégralité, racontée et décrite de manière laconique et acerbe par un soldat qui tous les jours voit des gens comme lui se faire étriper par des tonnes d’acier. Ce soldat ne nous épargne rien, ses mots sont comme ce qui l’entoure : crus, violents, grossiers. On est loin des discours patriotes et va-t-en guerre pour aller « botter le cul aux boches » ! Ici c’est la réalité de la guerre, l’horreur innommable où les corps sont déchiquetés, où les tripes dégoulinent des ventres de pauvres gars dans la fleur de l’âge pour la plupart. Et des deux côtés de la frontière, les tripes ont la même couleur et la même odeur …
On a beau savoir que cette « grande guerre » fut une abominable boucherie, et qu’en se plongeant dans un tel livre on trouvera des trucs dégueulasses, à chaque fois c’est un choc. Dans un sens c’est tant mieux, car l’idée même de s’habituer à de tels carnages est encore plus insupportable.
Tardi et Verney sont, chacun à leur façon, des experts de la première guerre mondiale. Les textes de Verney, crus, familiers, argotiques, sont sans retenue et nous pètent violemment à la gueule, exprimant ainsi l’immense détresse et rancœur du soldat qui n’est qu’un pion sur un échiquier dont il ne connait même pas les limites et dont la vie est finalement bien peu de chose. En faisant parler un soldat anonyme, Verney en profite pour tailler en pièce un état major rétrograde, obstiné dans ses stratégies obsolètes et inefficaces, transformant souvent ses décisions en assassinat de masse.
Tardi quant à lui, excelle dans les scènes d’horreur ! Comme les mots de Verney, son dessin est cru et direct. Membres arrachés, viscères dégoulinantes, bourbier inextricable, ruisseaux de sang, monceaux de cadavres, gueules cassées … le moindre détail de cet enfer est en image. Et les images sont grandes, comme s’il fallait que rien ne nous échappe ! Trois cases horizontales par planche, cela donne de la place pour le détail … détail qu’il faut chercher dans des cases de moins en moins colorées au fil du récit, à mesure de l’enlisement du conflit.
Le dernier chapitre se focalise sur tous ces anonymes victimes de cette guerre absurde : paysans, écrivains, instituteurs, percepteurs, fonctionnaires, ingénieurs, jeunes, vieux, frères, sœurs, mères, de tous horizons, de toutes régions, des colonies …. Pas une famille française qui n’ait été touchée par cette tuerie. C’est véritablement poignant, et le lecteur ne pourra s’empêcher d’avoir une pensée pour ses propres aïeuls tombés sur les champs de batailles.
Un ouvrage qu’il faut lire pour rendre hommage à ces 10 millions de soldats inconnus morts dans cette putain de guerre !
Ma note : 10/10
Loubrun
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