Rocher rouge

  

rocher rouge,kstr,2009,thriller,poncifs,borg,sanlaville,tigrevolantrocher rouge,kstr,2009,thriller,poncifs,borg,sanlaville,tigrevolantScénario : Borg, Éric
Dessin : Sanlaville, Michaël
Editeur : Casterman
Collection : KSTR
Dépot légal : 01/2009
Pages : 117

Rocher Rouge est une île paradisiaque quelque part dans des eaux tropicales, l’un de ces lieux où l’on rêverait de passer ses prochaines vacances …. C’est justement là qu’une bande de copains et copines choisissent de passer trois jours façon « opération survie ». Ce qu’ils ignorent, hélas, c’est que l’île est réputée abriter le terrible Maboukou, une créature légendaire connue dans la région pour décapiter ses proies et leur dévorer la tête…

Du sexe, des pulsions connues et/ou inconnues, des corps parfaits… vous êtes dans « l’ile des cocus » euh non « l’ile de la tentation » ! Un ilot paradisiaque, coupé du monde des tensions dans le groupe, pas d’hésitation c’est « Lost » ! Du gore, du sang, de la tension du rythme, une vieille légende, un monstre « Konguien », c’est du « scream » mâtiné de «l’affaire blairwitch » ! Mélanger le tout à la cuillère (pas au shaker), servir frais avec une rondelle de citron et vous voilà plongés dans l’univers de Rocher Rouge. Autant vous le dire immédiatement, Eric Borg assume ces références cinématographiques et télévisuelles. Il ne se prive pas d’utiliser les poncifs des séries princeps : les rebondissements téléphonés (au propre comme au figuré), la plastique de ces personnages, l’insularité, la tension…. Mais Eric Borg n’en oublie pas pour autant ces classiques : la fable utilise l’unité de temps, de lieu et d’action. Tout cela est habilement utilisé dans un rythme crescendo. Pas le temps de souffler. Le récit est vitaminé et haletant. Les dialogues minimalistes font la part belle à l’action. Enfin des touches d’humour et d’absurde couronnent le tout. Ouf !

 

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Que serait un scénariste sans un bon dessinateur ? Dans le monde de la bande dessinée, sans nul doute pas grand-chose. Le casting ici fait bien les choses. Salanville exhibe un graphisme épuré (qui pourrait se rapprocher de celui de son ami Bastien Vives), expressif et surtout débordant d’énergie. Il choisi des plans rapprochés et accentue ainsi le rythme de la narration et du gore ! Dernière corde à son arc : les couleurs. Il accorde le récit avec un panel différent, passant du vert et jaune pâle pour les scènes de plage au brun, rouge et orange pétant au plus fort des scènes chocs au cœur de la forêt sinistre. Un petit peu plus de clinquant dans les couleurs n’aurait pas dépareillé avec les clichés dont ce réclame cette BD !

Dans ce huis clos tout est en place pour que le rêve vire au cauchemar. « Du koh lanta poussé à l’extreme » selon Eric Borg. Cela va vite ! Peut être trop vite. Avec ce choix de récit, cela permet, sans nul doute, d’éviter les écueils du déjà vu et de s’échouer au milieu du récit. Ces 117 pages vous laisseront un bon souvenir !

 

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Note : 7.5 / 10

Tigrevolant

INTERVIEW DE TED BENOIT

Le parcours d’un homme libre…

capitol,interview,ted benoit,champaka,camera obscura,042013Mardi 16 avril 2013, SambaBd a rendez-vous à la galerie Champaka à Bruxelles avec Ted Benoit, une des figures emblématiques de la « ligne claire », à l’occasion de la sortie de l’album « Camera Obscura » qui retrace une partie de son parcours artistique, et de l’exposition qui lui est consacrée. Ted Benoit, c’est le père tranquille de la BD avec un parcours atypique guidé par la liberté de ses choix. Il a répondu à nos questions avec simplicité et en toute franchise.

 

SambaBD : Champaka vient de sortir un livre qui retrace une grande partie de votre carrière. Comment pourriez-vous commenter cet album ? Quels sont vos sentiments vis-à-vis de cet album ?

capitol,interview,ted benoit,champaka,camera obscura,042013Ted Benoit : Au départ, j’ai voulu que des livres ne disparaissent pas. Ce sont souvent des livres qui sont épuisés. Pour moi, c’est fort important. A la différence de la bande dessinée, le roman peut être réédité, retravaillé à l’infini, ce n’est pas trop compliqué. Pour la BD, il faut garder des traces plus tangibles, il faut que cela ne disparaisse pas car c’est une satisfaction pour moi que ce soit toujours là. Tout le travail de recherche, de mise en perspective du parcours m’intéressait mais le bémol, c’est que je ne voulais pas non plus faire de l’autobiographie, le truc qu’on fait 5 ans avant de mourir! C’est un peu cette impression là au départ mais il suffit de l’écrire un peu différemment pour éviter cet écueil. Les textes, ce sont des moments choisis, des choses intéressantes de mon point de vue. Je n’essaye pas du tout de faire une continuité. 

 

SambaBD : On remarque à la lecture de ce livre que vous n’avez pas une trajectoire linéaire mais plutôt un cheminement avec des allées et venues entre la bande dessinée et la publicité. Pourquoi en fin de compte avez-vous peu produit d’albums de BD ?

Ted Benoit : Je n’ai pas fait assez de bande dessinée mais il y a plein de choses  que je n’ai pas fait assez ! Je n’ai jamais été très productif mais quelque part ma carrière n’est pas vraiment maîtrisée. Le mot « carrière » n’est pas grand-chose pour moi de toute façon. Je me suis un peu laissé porter par mon plaisir, mon désir de liberté. Je me suis laissé porter sans idées préconçues. Il y a aussi des impératifs économiques tout bêtement.


capitol,interview,ted benoit,champaka,camera obscura,042013capitol,interview,ted benoit,champaka,camera obscura,042013Le seul moment où le mot « carrière » a pris du sens pour moi, c’est quand j’ai commencé Ray Banana. J’ai fait un pari que je pouvais faire des choses qui me plaisaient, en toute indépendance quelque part, et qui se vendaient. Je n’ai pas voulu faire le pur artiste, ni faire des séries à succès. J’ai voulu faire ce qui me plait. Je n’aime pas du tout la dichotomie entre les artistes solitaires et les commerçants.


SambaBD : Vous avez une « aura » certaine auprès des spécialistes du 9e art mais vous êtes peut-être moins connu du grand public. Comment pouvez-vous expliquer ce phénomène ?

Ted Benoit : Pour expliquer ce phénomène, on peut parler de vente de bouquins. Jusqu’à « Blake et Mortimer », mon tirage le plus important était « la berceuse électrique » qui a fait 50.000 exemplaires. Mais, vous voyez comment fonctionne la bande dessinée dans les librairies. C’est classé dans des bacs par série. Dans le début des années 2000, Casterman a fait une série « Les classiques (A Suivre) ». Ils avaient  repris des bouquins de l’époque d’(A Suivre), 12 titres, dont 3 des miens. Mais ce n’était pas des séries par personnage. Dans les librairies, on ne savait pas où classer ces bouquins-là ! La librairie fonctionne par série et tout ce qui sort en dehors de ce principe, c’est un peu difficile. Comme moi je faisais des séries de deux albums maximum, cela n’a pas sa place en librairie.


SambaBD : Cela reste dans les cartons…

capitol,interview,ted benoit,champaka,camera obscura,042013capitol,interview,ted benoit,champaka,camera obscura,042013Ted Benoit : Donc, c’est ça. « Blake et Mortimer », la série existait déjà. Le premier album que je fais, en plus poussé par le bruit qu’il y a autour, c’est 600 à 700.000 exemplaires ! Il n’y a pas de commune mesure.


SambaBD : Cela ne se refuse pas…

Ted Benoit : Cela ne se refuse pas. C’était très amusant et intéressant à faire.


SambaBD : Vous avez dû rentrer pour Blake et Mortimer dans un style de dessin bien précis…

Ted Benoit : Non, je n’ai pas eu de gros problèmes. J’étais dans un style assez proche. Au départ, j’étais autodidacte, et comme je dessinais dans un style plutôt réaliste, il fallait que je travaille beaucoup. Après je suis passé à des dessins style « Hergé ». Or, avec Jacobs, j’étais à la croisée des deux. Donc, ce n’était pas un problème pour moi.


SambaBD : Quand on prononce votre nom, on fait référence directement à « la ligne claire ». Pourtant au départ, vous n’étiez pas très « ligne claire », vous l’êtes devenu. Qu’est ce qui vous a poussé à aller vers ce courant ?

Ted Benoit : Pour moi, le grand précurseur de ce qu’on a appelé la « Ligne claire » et qui a appelé ce style « Ligne claire », c’est Joost Swarte en 1977. Hergé n’aurait jamais pensé qu’il faisait de la « Ligne claire ». C’est classique dans l’Art. On fait des œuvres puis arrive un critique qui met un nom dessus. C’est sur son exemple que j’ai été dans cette direction. Je le lisais dans Charlie mensuel dans les années ’70 et je trouvais cela très drôle. On avait une origine commune via la presse underground, la contre-culture des années ’60 et donc il faisait un dessin qui était pour moi un dessin dans l’air du temps avec des sujet tout à fait différents. J’ai fait un peu la même chose. J’ai pris le style « Hergé » pour faire des histoires qu’Hergé n’aurait jamais faites.

 

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SambaBD : Cela consiste en quoi la « Ligne claire » ? Quelles en sont les caractéristiques techniques ?

Ted Benoit : Je crois qu’il a repris ce style des chinois ou des japonais. Par exemple, on ne met pas de hachures. C’est un trait dépouillé qui fait le contour des choses. Les ombres sont réduites au minimum. Swarte, lui, en met sous les voitures et j’ai fait pareil. Par contre, cela demande un dessin très solide en dessous pour que cela fonctionne. On ne peut pas être approximatif. L’approximatif, on ne peut pas le gommer, le cacher en multipliant des ombres, des traits, des hachures,…Avec la « Ligne claire », il faut que ce soit du solide.


SambaBD : Est-ce que cela vous a pris beaucoup de temps, de travail pour en arriver là ?

Ted Benoit : C’est justement beaucoup de travail ! Cela a été assez vite et progressif. Par exemple, sur les décors, je me suis un peu perdu dans les perspectives que j’ai apprises à l’occasion. On ne peut pas faire les décors « au pif » en « Ligne claire ». Déjà, on dessine souvent des choses qui n’existent pas. On n’imagine pas, comme le font les américains, un genre de voiture qui n’existe pas. On fait de la vraie voiture. Hergé faisait, je ne m’en rendais pas compte quand j’étais petit,  des vraies voitures et donc on travaillait plus sur documentation. On dessine les voitures de façon plus rigoureuse. Cela prend du temps mais plus on arrive à le faire, plus on fait des trucs compliqués.


SambaBD : Vous avez été en contact avec Yves Chaland. J’ai retrouvé un portrait que vous avez fait de lui dans un album que Champaka lui a consacré. Pouvez-vous me parler de lui ? Que vous a-t-il amené au niveau graphique ?

capitol,interview,ted benoit,champaka,camera obscura,042013capitol,interview,ted benoit,champaka,camera obscura,042013Ted Benoit : On a des origines un peu différentes. Moi, j’étais plus sur Hergé, lui était plus Franquin et Jijé. On était des amis. Il y avait tout un groupe de dessinateurs plus de son âge que du mien. Moi, je suis plus vieux qu’eux, même si on a débuté au même moment. On a beaucoup travaillé et évolué ensemble. Au niveau dessin, c’était un superbe dessinateur. Mais c’est plutôt au niveau de son inspiration qu’il m’a intéressé. Tout à coup, il y a eu un album de Chaland qui m’a beaucoup frappé qui s’appelle « La comète de Carthage » car on prend les choses au sérieux. Freddy Lombard devient amoureux de la fille. On peut toujours avoir de l’humour mais en même temps, il y a des sentiments, des choses qui étaient alors très discrètes en bande dessinée. Et ça, c’était une grande leçon pour moi. A partir de cet album, c’était peut-être en prémices avant, cela s’accentue dans les suivants. Son dernier album « F52 » est pour cela fabuleux. Ca m’a vraiment marqué. Et c’est un peu pourquoi j’ai fait « Blake et Mortimer ». Sur « Blake et Mortimer », je me disais :  » là, il n’y a plus de second degré possible ». Dans Jacobs, on ne va pas rigoler avec les personnages, on est au premier degré mais c’est aussi intéressant à raconter.

 

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SambaBD : Savez-vous que « Blake et Mortimer » via Izneo, le site de publication numérique, ont été censurés sur Ipad par Apple pour pornographie ? (NDLR : l’information venait de sortir peu de temps avant l’interview…)

Ted Benoit : Ah bon, je ne suis pas au courant ! Lesquels ?


SambaBD : Je vous enverrai l’article que j’ai lu à ce sujet.

Ted Benoit : Ah, ça, je veux lire !


SambaBD : Avec votre style qui vous est propre, vous avez été beaucoup sollicité par la publicité. Maintenant c’est les galeries qui s’intéressent à vous. Vous faites partie d’un courant au même titre qu’Yves Chaland, Ever Meulen, Serge Clerc,…Champaka vous consacre une exposition ici à Bruxelles et à Paris. Etes-vous conscient que vos œuvres sont à la mode, que vous êtes un artiste coté ?

Ted Benoit : Chez Champaka, je travaille avec eux depuis environ 30 ans. Oui j’ai accompagné ce mouvement là mais je pense que c’est comme la mode, c’est cyclique.


SambaBD : Quand on voit ce qui se passe en salles de vente pour certains auteurs, ça devient de la folie avec des auteurs tels que Hergé ou Franquin…

Ted Benoit : C’est le marché de l’Art. Cela nous intéresse quand même nettement moins. Je veux bien vendre à ce prix là ! Mais quand on vend à des prix pareils, c’est que cela a déjà été vendu deux ou trois fois, ce n’est pas l’auteur lui-même qui les vend !

 

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SambaBD : Je reviens maintenant sur Ray Banana. Vous avez fait deux albums. Cela pourrait devenir une série, un héros récurrent. Pensez-vous en faire un troisième un jour ? Avez-vous quelque chose dans vos tiroirs ?

Ted Benoit : Je suis entrain d’en faire un pour le moment mais il ne sera pas comme les autres. Ce ne sera pas vraiment de la fiction. Le dessin est différent. Certaines planches se trouvent dans l’album « Camera obscura ».


SambaBD : C’est plus dans le style psychologique ?

Ted Benoit : Non, dans cette histoire là, Ray Banana est mort et il est au purgatoire.

C’est plutôt allégorique. Au départ, c’était une histoire de fiction avec un début et une fin. Mais je l’ai abandonnée car je ne savais pas  si ce serait bien…Maintenant je fais des histoires en une page. Ce n’est plus du tout le même style d’histoire.

 

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SambaBD : Vous faites plus court mais mieux…

Ted Benoit : Non, pas forcément mieux, plus rapide…Il y a plus de travail sur l’idée, la conception, le texte que sur le dessin. La fiction a des exigences et je désirais faire tout à fait autre chose. Mais je ne pense pas qu’il y aura un jour un troisième album de fiction.

Après les deux « Blake et Mortimer », quelque part, je n’ai pas pu continuer dans cette ligne là. Je ne sais pas pourquoi…


SambaBD : Avez-vous d’autres projets ?

Ted Benoit : J’ai un autre projet d’un livre d’images chez Champaka mais on doit encore en discuter. Il s’appellerait « un siècle de progrès », sur toute l’idéologie et l’imagerie du progrès au XXe siècle, avec également des documents…Mais ce n’est pas de la bande dessinée. C’est de l’illustration. J’ai déjà fait pas mal de travaux en ce sens. C’est une vieille inspiration qui continue. Il y a toujours des trucs intéressants à faire. Une idée de progrès, de modernisme. On ne dit plus moderne depuis la fin des années ’50-’60. Moderne, c’est un terme dépassé. C’est le post-modernisme maintenant. L’idée de progrès a beaucoup été remise en question et je voudrais faire une réflexion là-dessus à travers les images.

 

Interview réalisée par Capitol pour SambaBD.

Remerciements à Ted Benoit et à Champaka pour avoir permis cette rencontre.

Liens vers Champaka: ICI.

 

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