Le spectateur

Auteur : Théo Grosjean
Éditeur : Soleil
168 pages
Date de sortie : 14 avril 2021
Genre : roman graphique, tranche de vie, introspection, société.

« C’est peut-être une statue pour faire fuir les voleurs ? Un peu comme les épouvantails ?
– Ah non, il a cligné des yeux…
Il me fout les jetons, ce gosse. On dirait le gamin dans ‘Shining’.
– Laisse tomber. On va plutôt cambrioler le voisin. »

Présentation de l’éditeur :

« Le Spectateur », dont les inspirations graphiques puisent dans la BD indépendante américaine, scintille par l’intelligence de ses intentions.

Samuel naît muet, du moins c’est ce que pensent ses parents. Et c’est à travers ce prisme et son regard que le fil de sa vie se déroule, autour d’un sentiment étrange : celui de n’être que le spectateur de sa propre existence. En effet, du fait de son mutisme, Samuel ne parvient ni à interagir, ni à influer sur les événements auxquels il est confronté… Un subtil délice doux-amer.

Mon avis :

Après « L’homme le plus flippé du monde », voici Samuel où le garçon le plus neutre de l’univers. À l’inverse de son auteur, « Le Spectateur » regarde le monde avec une passivité à toute épreuve, sous un prisme totalement personnel et introspectif… pour le lecteur ! Parce que Samuel : il ne dit rien, ne pense rien, ne réagit pas. Du moins, il n’en a pas l’air (de quoi nous faire flipper, nous !)

Un peu comme « Anatole(s) » (de James aux éditions Fluide Glacial), Théo Grosjean nous embarque dans la vie de son personnage depuis sa naissance. Samuel nait muet, il ne pleure pas en sortant de l’utérus de sa mère, ne parle toujours pas à l’école où il finit dans une institution pour enfants avec handicaps mentaux, ne réagira pas suite au décès de sa mère, … il est là à regarder le monde sans rien dire, ni faire. Il ferait même presque peur à son entourage…

Pourtant, cet étrange garçon que nous voyons de temps en temps dans le reflet d’une vitre ou d’un miroir, semble avoir toute sa tête – peut-être est-il un peu autiste comme le suggèrera le médecin pédiatre – et pose un regard intense sur le monde. Il ne dit rien mais il voit tout ! Il observe, il écoute, … mais est-ce qu’il comprend vraiment ? Ou a-t-il juste des difficultés à extérioriser ses (re)sentiments ?

C’est au lecteur de décider, d’interpréter ce qu’on voit à travers les yeux de Samuel. Son mutisme donne indirectement envie de réagir pour lui, d’argumenter, de critiquer, … tout simplement de réagir à sa place face aux aléas de sa vie. Un peu comme les deux chroniqueurs télévisés qui argumentent sur ses œuvres d’art, ses dessins qui représentent le monde sous un œil abstrait et énigmatique, loin de la vérité qui s’impose devant nous par le biais des cases de la BD.

C’est plutôt déroutant de ne pas savoir ce que ce personnage pense. Ne pouvoir que deviner, imaginer sans être sûr d’avoir raison ou tort, extrapoler sur base d’une goutte de sueur dessinée par l’auteur, d’un tremblement, d’un clignement des yeux, … Et pourtant, c’est interpellant parce que combien d’entre nous ne sommes pas spectateurs de nos propres vies à l’instar de Samuel.

Alors finalement on s’y attache, même si le dessin de Théo Grosjean n’est pas le plus plaisant – mais pas le plus moche non plus – on se laisse bercer par l’imagination, la réflexion sur la vie et tous ses sens, parfois cachés. Et on referme les pages de « Le Spectateur » un peu plus philosophe qu’au début de notre lecture…

ShayHlyn.