Ces lignes qui tracent mon corps

Scénario et dessin : Mansoureh KAMARI
Editeur : CASTERMAN
Parution : 10 septembre 2025
200 pages – Broché
Genre : roman graphique

Un album qui met en lumière l’oppression des femmes en Iran.

En Iran, selon la loi islamique, le père de famille est propriétaire du sang de ses enfants, il ne peut donc être poursuivi pénalement s’il s’en prend à sa progéniture. De là découle en partie la construction de la société iranienne où l’homme a les pleins pouvoirs, notamment sur les femmes, en toute impunité. Mansoureh Kamari se souvient ici de son enfance et de son adolescence sous ce joug masculin. Elle expose des faits : les interdictions multiples (rire, chanter, danser, aimer), la possibilité d’être mariée à 9 ans, exécutée à 15, après avoir été violée… Elle raconte les agressions sexuelles répétées, dans la rue, le taxi, chez le médecin, à la fac… Et la peur constante, l’impuissance, l’incapacité à maîtriser son destin. Mais Mansoureh a fui l’Iran, elle a réussi à sortir de cette oppression permanente, et cet album est aussi l’histoire d’une métamorphose, celle d’une femme recouvrant sa liberté.

Mon avis

Mansoureh Kamari est réfugiée politique en France. Elle est dessinatrice de formation. Elle travaille depuis une dizaine d’années dans le cinéma d’animation. Ces lignes qui tracent mon corps est sa première bande dessinée.

La parution de l’album a coïncidé avec les commémorations du troisième anniversaire de la mort de Mahsa Amini, survenue le 16 septembre 2022. Cette jeune étudiante de 22 ans est décédée trois jours après son arrestation par la police des mœurs iranienne. Son crime : le port de vêtements inappropriés. Tout laisse penser qu’elle a été battue à mort en détention.

J’ai beaucoup apprécié le dessin en nuances de gris, aux lignes fines, légères et poétiques. Ce style graphique épuré, presque minimaliste, laisse toute la place au récit, sans distraction superflue, et permet de se concentrer sur l’essentiel : les émotions. Les gros plans sont omniprésents. Pour les visages, ils traduisent magnifiquement les expressions des personnages ; pour les gestes et les corps, ils accentuent les sensations et témoignent d’une grande sensibilité.

Par moments, des touches de couleurs douces apparaissent fugacement, soulignant des instants clés de douleur, de honte ou des scènes de libération, et révélant avec justesse la fragilité de l’autrice. Cette palette restreinte renforce le caractère intime du récit et sa profonde charge émotionnelle.

La place accordée au dessin, très expressif, crée une atmosphère remarquable qui rend le texte presque secondaire.

« Mansoureh pense en images, en lignes, en séquences rythmées par la force de son histoire, au point que l’écrit semble superflu, réduit au strict minimum », observe Angèle Pacary, l’éditrice chez Casterman.

Certaines scènes sont bouleversantes : dures et cruelles, parfois perturbantes, mais aussi profondément touchantes et poignantes. Impossible de rester indifférent à la lecture de ce récit autobiographique, qui m’a profondément ému.

On pourrait croire, que dans un pays où les hommes détiennent tous les droits, la solidarité féminine serait naturelle. Détrompez-vous. Si le régime patriarcal perdure, c’est aussi grâce à la collaboration de nombreuses femmes, cadres, militantes, membres de la police des mœurs, et autres instruments du pouvoir.

L’album a été salué pour « sa sincérité brute et son engagement féministe ». Un véritable « coup de poing » qui met à nu la réalité de l’oppression des femmes en Iran. « Un témoignage puissant sur la quête de dignité et de liberté. »

Si Mansoureh Kamari rêve de suivre la voie tracée par son aînée Marjane Satrapi, on peut dire qu’elle s’en approche à grands pas. Cette première bande dessinée touche au grand art, à l’image de Persépolis.

Je recommande vivement cette lecture inoubliable, un album à la fois pudique et percutant. On le referme bouleversé et admiratif, avec la certitude d’avoir entendu une voix qu’on n’oubliera pas. Plus qu’un simple témoignage, Ces lignes qui tracent mon corps est un acte de résistance. En racontant son histoire, Mansoureh Kamari redonne la parole à toutes celles qu’on tente de faire taire. Son œuvre nous rappelle que la liberté et la dignité se gagnent aussi par le dessin, par la mémoire et par le courage de dire « non ».

Femmes de tous les pays, unissez-vous !

DenSi

2 commentaires sur “Ces lignes qui tracent mon corps

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