Catherine Girard-Audet & Ludo Borecki : Interview & Questionnaire du… Furet

À l’occasion de la sortie de l’ultime tome de “La vie compliquée de Léa Olivier” (tant en roman qu’en BD, que je chroniquerai bientôt également), j’ai eu l’opportunité de rencontrer l’autrice et le dessinateur dans un cadre cosy et verdoyant (Le Péristyle, bar du jardin botanique) au cœur de la cité ardente, Liège. Le temps d’un petit interview et un questionnaire du mouton Furet !

Qu’est-ce que ça fait de se dire clôturer la l’aventure “Léa Olivier” ? Parce que c’est le dernier tome…

Catherine Girard-Audet : C’est le dernier tome de la série “Adolescente”, je vais le dire comme ça. J’ai pas mis une croix sur Léa, j’ai pas mis une croix sur potentiellement d’autres aventures à l’âge adulte où elle est rendue à la fin des “années tendres” parce qu’il y a un saut dans le temps ; là, elle a 21 ans à la toute fin. Je ne serais pas contre, mais Léa n’est plus une adolescente. C’est une série ado donc il fallait que je la termine. Elle est rendue grande. Ceci dit, au Québec, le dernier tome est sorti il y a un an, l’écriture s’est faite il y a un an et demi et ça a été un processus qui a duré plusieurs mois, voire une grosse année… C’était une forme de deuil, de dire “au revoir”. Je pense que maintenant, ce qui me rend plus sereine, c’est finalement de me dire : “je ne suis pas obligée non plus de faire une croix sur ce personnage là et surtout sur la dernière décennie qui a été tellement folle et incroyable”. Mais je crois vraiment que l’adolescente Léa, je l’ai menée à terme. Je n’aurais pas pu faire autrement, je n’aurais pas pu mieux faire. J’ai vraiment tout donné, je n’ai pas de regret. Donc je suis vraiment fière de ce que j’ai accompli, je suis fière de ce que Léa a accompli aussi.

Vous vous attendiez à autant de succès ?

Catherine Girard-Audet : Absolument pas, je m’attendais pas à me retrouver dans un café à vous parler en Belgique.

Parce que vous êtes très active au Québec malgré tout.

Catherine Girard-Audet : Au Québec j’avais déjà, pas un succès qu’on peut comparer à Léa Olivier, mais j’ai créé un guide pour adolescentes qui connaissait un certain succès. Mais c’est un guide pratique pour accompagner les ados, donc je baignais déjà dans le monde “adolescent”. Mais quand j’ai commencé l’aventure de Léa Olivier, je le dis souvent mais je ne m’attendais à rien. Je m’étais dit : “si je vends 5 milles exemplaires du premier tome, ça serait une grande réussite, ça serait un best-seller” et on se retrouve 1.7 millions plus tard donc non, je ne m’attendais vraiment pas à ça. Mais je trouve ça beau en même temps parce que c’est une forme de naïveté de se dire : “j’écris une histoire pour le plaisir d’écrire une histoire sans vraiment penser à ‘tant mieux si j’en vends’. Parce que je ne pense pas qu’il y ait un auteur qui n’espère pas vendre ses livres mais c’était pas tant dans cet esprit là. C’était vraiment parce que je croyais en l’histoire.

Donc vous ne vous attendiez pas non plus qu’un petit Belge vienne faire votre histoire en BD ?

Catherine Girard-Audet : Non pas du tout. C’est Dimitri qui nous a mis en contact, c’est mon éditeur Belge. Je ne m’attendais surtout pas à ce que Dimitri débarque au salon du livre de Montréal, tombe sur mes romans, voit un peu la folie sur le stand où on était avec Marc André – Marc André c’est mon éditeur Québécois – prenne les trois tomes, tombe en amour ; c’est lui en fait qui a eu un coup de cœur pour Léa Olivier au départ et a décidé de sortir les romans ici et ensuite de l’adapter en bande dessinée. Donc tout ça, absolument pas, je ne m’attendais à connaître un succès en Europe en fait. Pas du tout.

D’où vient que c’est vous, Ludo Borecki, qui êtes tombé sur le projet de l’adaptation en BD ?

Ludo Borecki : Au moment où Dimitri cherchait une équipe, un scénariste et un dessinateur pour faire la première BD, je présentais un projet chez Dimitri et dans mes croquis il y avait une jeune fille de 14 ans blonde avec de grands yeux bleus… qu’on a mis en vert et c’était Léa. C’est également Dimitri qui a proposé, qui m’a demandé de lire les romans pour voir si j’aimais bien, si j’étais capable de le faire. J’ai vraiment eu un coup de cœur pour la série.

Du coup, vous vous êtes retrouvé à travailler ensemble pour certaines choses ou vous avez laissé les artistes BD travailler sur votre série ?

Catherine Girard-Audet : C’est vraiment un travail qui se faisait en trois étapes. C’est à dire qu’en premier c’était Didier, notre scénariste (Alcante)… Il décomposait mon tome épistolaire en scènes. Parce que c’est vraiment de la scénarisation. J’ai beaucoup appris de ce travail là parce que c’est vraiment différent d’un roman, c’est de la scénarisation télé. Je trouve ça cool. Je repassais sur son scénario, Ludo peut-être plus sur la partie des scènes à illustrer. Moi c’était sur le texte, j’adore Didier mais il rendait souvent ça trop européen, c’est normal vu qu’il est Belge, donc je remettais à la sauce québécoise. Ensuite, eux l’adaptaient en deux éditions. Ici avec un lexique alors que c’est adapté tel quel au Québec. C’est comme ça que ça fonctionnait : Ludo nous envoyait à mes deux éditeurs et à moi, les planches. Didier participait aussi. Et c’est là que parfois, j’avais oublié un mot qui n’aurait pas fonctionné dans une BD québécoise. Donc je changeais. Parfois c’était au niveau d’un personnage pour pouvoir les différencier, surtout pour Ludo car il y a beaucoup de personnages et lui était des fois tellement dedans qu’il voyait moins que tels personnages se ressemblaient trop. Ensuite c’était pour les couleurs. C’est pas Ludo qui fait les couleurs, mais les valide car même si Léa Olivier, c’est un roman, pour moi c’est un monde coloré ; ça peut pas être sobre, ça demande à être un peu plus éclaté. Ça a été un gros travail qu’on a fait dans les trois, quatre premiers tomes. Après, Ludo comprenait très bien le “code de vie” de Léa Olivier. Donc je pense que je leur ai donné, alors, un peu plus d’indépendance, je leur faisais confiance. C’est plus au début du dessin qu’il a fallu vraiment travailler ensemble, alors qu’avec Didier c’était jusqu’à la fin, de retravailler les textes parce qu’il n’est pas Québécois, c’est normal.

Ludo Borecki : Ceci dit j’avais un peu le même sentiment que Catherine en commençant la BD, je me suis dit : “si ça tombe, je vais en faire un, puis je vais arriver à Montréal et les fans de Léa vont détester ma BD ». J’avais un stress avec ça. Et quand je suis arrivé, j’ai vu que c’était en tête des ventes, là-bas, au Québec. Je me suis dit : “Ok, c’est bon”. Parce que, ici, il y en a douze mais je ne savais pas combien il y en aurait.

Et maintenant, vous avez d’autres projets ? Faire une pause avec Léa ? Faire d’autres choses, ici aussi en Europe ?

Catherine Girard-Audet : Au Québec, j’avais besoin d’une “Pause adolescence”. Mais là, j’ai commencé tout de même, en parallèle, deux nouvelles séries. J’ai replongé dans l’adolescence parce que ça fait un an. J’écris le journal de Marilou qui connaît déjà un bel engouement. C’est la même Marilou de Léa, mais c’est elle le personnage central. C’est pour plus jeunes donc dans une tranche de 8-12 ans et ça se passe à la fin du primaire qui est un âge compliqué aussi, que je n’avais pas abordé encore. J’ai une fille de 9 ans, qui va avoir 10 ans bientôt, et c’est génial parce que j’ai énormément d’inspiration et puis on trouvait justement, même avec Marc André, que c’est une tranche d’âge où l’offre manquait un peu sur le marché et j’avais envie de le développer avec mon expérience mais avec un personnage que je connaissais bien. Marilou c’est un personnage que j’adore ! J’adore Léa évidemment, mais on me demande souvent quel est mon préféré et mon coup de cœur c’est Marilou. Marilou a grandi et elle écrit son journal intime, donc c’est cette vision là avec Léa qui devient un personnage secondaire. C’est un roman mais c’est presque un roman graphique. C’est vraiment beau, il y a des images colorées.

C’est aussi prévu en Europe ?

Catherine Girard-Audet : Il faudra demander à Dimitri, mais au Québec il y a déjà le troisième tome qui va sortir bientôt et là, je viens tout juste de sortir le premier tome de ma nouvelle série Ado qui s’appelle “La pire année de ma vie”. C’est très intense, comme l’adolescence et ça aussi, c’est inspiré de moi mais peut-être une facette de moi que j’ai moins exploré dans Léa donc je trouvais ça intéressant. Léa, je peux pas lui faire tout vivre, elle a sa propre personnalité et puis justement de m’en détacher, tout en gardant une touche d’humour parce que ça reste moi, mais peut-être d’aborder des thématiques plus actuelles. Léa Olivier, je l’ai commencé en 2012, bientôt on va être en 2025. La pression de performance, je ne l’avais pas abordée, les complexes physiques pas assez et même sa sœur a des troubles alimentaires, la pression face aux réseaux sociaux. Comme ça, ça a l’air lourd, mais c’est une série légère aussi à aborder. Il y a aussi des tableaux abordés dans Léa, mais là, il s’agit d’aborder d’autres thèmes plus… actuels, dans une nouvelle série. Et comme j’ai dit : “je ne dis pas adieu à Léa” parce que je vais peut-être la faire grandir et faire un tome de Noël. Mon éditeur belge n’est pas encore au courant, mais au Québec : c’est sûr que ça sort. J’ai plein de projets en fait.

Et vous, des nouveaux projets ?

Ludo Borecki : Oui, oui. J’ai terminé le tome 12 il y a un an donc je suis sur deux nouveaux projets. Un diptyque chez Dupuis à paraître en début 2026 et j’ai repris le dessin des Schtroumpfs pour le prochain tome.

Si vous aviez une chose à retenir de cette aventure, ça serait quoi ?

Catherine Girard-Audet : Ah ça c’est une bonne question, j’ai fait beaucoup d’entrevues et on ne me l’a pas posée. J’aime ça, des nouvelles questions !

J’ai envie de donner deux réponses. Qu’est-ce que moi, Catherine, la femme de 43 ans, j’ai retenu ? J’ai appris, en fait. J’ai appris, j’ai appris, j’ai appris… Je suis quelqu’un qui aime avoir une forme de contrôle sur son environnement, c’est un peu ce que j’explore dans ma nouvelle série, ma façon à moi de contrer un peu mon stress et Léa Olivier m’a appris qu’on ne peut rien savoir, rien prévoir. Comme, justement, ce succès là n’était pas espéré, la pandémie, on ne pouvait pas s’y attendre. Je ne voudrais pas revivre la pandémie mais ça a redonné un souffle énorme à la série, au Québec. Je ne m’attendais pas à ce que ça soit adapté à la télévision non plus. Je ne m’attendais pas à me faire des amis ici en Belgique, mais c’est venu aussi avec des défis. Il n’y pas juste du beau dans un succès comme celui-là. J’ai appris beaucoup sur moi. J’ai dû me dire “Ok Catherine, tu ne peux pas tout contrôler, ça sonne un peu cliché, mais fait confiance à la vie pour la suite”. Ça c’est ce qui concerne Catherine, pour Léa, c’est peut-être même un clin d’œil aux lecteurs, c’est que je n’avais pas réalisé l’impact qu’avoir une amie comme Léa peut avoir. J’ai vraiment l’impression qu’elle a servi, et elle sert encore aujourd’hui, d’amie, de guide, de complice au quotidien. Ça les a accompagnés, ça les accompagne dans des moments difficiles, ça leur montre qu’ils ne sont pas seuls, ça leur montre qu’on traverse des épreuves mais qu’on s’en sort. Qu’il y a toujours une lumière des fois au bout d’un tunnel et je n’avais pas mesuré l’impact que ça pouvait avoir dans la vie des jeunes. J’ai raconté mon histoire sans penser à cet impact là. C’est vraiment quelque chose que je retiens, c’est probablement un des plus beaux cadeaux que j’ai reçu.

Du coup, un mot que vous diriez à ceux qui lisent Léa Olivier ?

Catherine Girard-Audet : C’est sûr que Léa reste une série légère, c’est une série qui fait du bien mais elle traverse des épreuves, pas juste elle, mais tout son entourage. Marilou beaucoup aussi. Mais je pense qu’on se relève. Avec du temps, avec de l’indulgence, avec de la douceur, avec de la bienveillance, on se relève de tout et pas nécessairement de la façon dont on pensait. Non, tu ne vas pas nécessairement revenir avec ton ex, oui tu peux perdre des amis et oui, tes parents peuvent se séparer, oui tu peux avoir des difficultés sur l’estime de soi, mais avec du travail et avec de la douceur, je pense qu’on en ressort plus fort. Puis éventuellement, si vous rencontrez des nunuches, vous pourrez écrire des livres pour vous venger (rire).

Et vous Ludo ?

Ludo Borecki : C’est mon aventure professionnelle la plus formidable. Vu d’ici, en dix ans quand je regarde un peu en arrière, les moments incroyables que Catherine m’a fait vivre. C’est elle, c’est sa création.

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Votre héros de BD préféré ?

CGA : Boule & Bill et Archie
LB : Peyo et Tintin

Votre méchant préféré, toujours en BD ?

CGA : Gargamel (je me suis même déguisée une année) quoique non, le pire c’est Azrael. Il m’a longtemps fait avoir peur des chats !
LB : Raspoutine dans Corto Maltese

Quel serait, selon vous, le plus beau couple de la bande dessinée ?

CGA : je laisse Ludo répondre, il est plus calé que moi
LB : Bidouille et Violette, par Yslaire

Avec quel auteur/dessinateur de BD rêveriez-vous de pouvoir travailler ? Les morts peuvent jouer !

LB : Peyo. Je suis arrivé dans l’équipe un an après son départ…

Une anecdote vécue pendant un festival BD ?

CGA : en mars 2020, juste, tout juste avant le confinement Covid. On s’est décidé à la dernière minute. Il n’y avait pas que l’équipe, il y avait des amis aussi. C’était comme si c’était la dernière fois, la dernière grande fête…
LB : … avant la fin du monde !

CGA : et au retour en avion, on surveillait qu’on ne touche pas les gens et qu’ils ne nous touchent pas trop. On pensait qu’on allait laisser ça derrière nous, sauf que non.

Il y a eu, aussi, la 2 ou 3e année à Verviers. Comparé au Québec, c’est tout petit, comme un petit village et il y avait une immense file. Je me suis dit qu’il y avait une foire, mais non : c’était pour nous ! C’est là que j’ai compris que l’accueil pour Léa Olivier était comme au Québec. J’étais comme Taylor Swift […]

Vous écoutez qui/quoi en dessinant/écrivant ?

CGA : J’ai besoin de rentrer en moi pour me concentrer, donc il ne faut pas de parole. Il y a la pianiste canadienne Stréliski, ou l’album de “Cœur de Pirate”, mais la version instrumentale, uniquement au piano.
LB : j’écoute la radio, tout le temps. La Première notamment (Ludo Borecki vit à Liège, Belgique)

Votre cheval de bataille (ou vos sujets favoris) ?

CGA : Les émotions et les dialogues.
LB : La lisibilité et la clarté. Sinon, les histoires romantiques. Tragiques.

Une manie ?

CGA : Trop nettoyer ? Je suis trop maniaque, comme Monica dans Friends (rire). Bien sûr, j’ai un enfant donc, il y a du désordre mais il faut que je range tout avant d’aller me coucher.
LB : Trop organisé. Je peux dire la veille quel sera mon planning exact du lendemain
CGA : ça, je ne saurais pas. Si j’écris parce qu’il faut, que c’est une obligation, je sais que ça ne sera pas bon et qu’il faudra que je recommence. Du coup, pour déstresser, je ferais du ménage (rire). Donc je ne peux pas planifier mes moments d’écriture.

Votre plus vieux souvenir BD ?

CGA : Boule et Bill que ma grand-mère m’offrait à chaque Noël

LB : chez moi, c’était Tintin tous les dimanches, par ma grand-mère. J’ai vite eu la collection complète (rire).

Votre gros mot préféré ?

CGA : “Bon Yeu” ça vient de “Bon dieu”. Comme je ne peux pas câlisser devant ma fille, je dis “Bon Yeu”. Ca surprend toujours quand je le dis, ce n’est pas si courant que ça.
LB : tout simplement le mot de Cambronne, Merde.

Enfin, pouvez-vous me dessiner, non pas un mouton, mais un furet ?

LB : Il risque de ressembler à un rat
CGA : d’ici, on dirait plutôt un écureuil.

Après tentatives multiples de nous trois pour lui trouver un nom, voici donc un mélange de rat, d’écureuil et de furet : un Réfureuil, le seul et unique de son espèce.

Un grand merci en tout cas à ces deux artistes pour ce moment de partage enrichissant et convivial.

ShayHlyn.

3 commentaires sur “Catherine Girard-Audet & Ludo Borecki : Interview & Questionnaire du… Furet

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