Sector 5

Scénariste : Christophe Bec
Dessinateur : Christian Pacurariu
Editeur : Soleil
Genre : Polar
Sortie : le 12 février 2025

Avis de l’éditeur :

Sector 5. Arrondissement le plus populaire de Bucarest. Appelé sur une abominable scène de meurtre, l’inspecteur Mariait Ferentari, surnommé « Gândac » (le cafard), découvre chez la victime des milliers de photos à caractère sexuel, plus extrêmes les unes que les autres. Détail particulièrement abject et troublant : les yeux du supplicié, un avocaillon sans intérêt, ont été énucléés.

Mon avis :

On ne présente plus le scénariste à succès qu’est Christophe Bec. De Carthago à Conan, en passant par Sanctuaire, nombreuses sont ses œuvres devenues chefs-d’œuvre d’une époque et à résonner par delà les sentiers du temps. L’un des maestro de la SF avant-gardiste sollicite ici encore notre intérêt à déjouer les codes, testant ses compétences en matière d’écrivain au polar noir pour un résultat plus que surprenant.

Attachez vos ceintures, si ce n’est déjà fait, car la ballade risque de résonner dans vos tympans un long moment. L’auteur nous peint un Bucarest gonflé aux hormones, ou plutôt un rempart bien spécifique de cette ville très touristique : Le Sector 5.

Ce peuple latin (et non slave) se veut particulièrement chaleureux et humain bien qu’une zone intitulée la Sector 5 empile à elle seule la quasi-totalité des vices que pourrait déceler l’entièreté de notre chère planète. Si la mafia est omniprésente, tout ce petit monde s’accorde pour un mieux, dans un registre où l’illégalité devient monnaie courante devenant ainsi la norme.

Sector 5 relate l’empire colossal du registre du sexe, de la simple prostituée bon marché aux call girls de luxe, mais s’attarde essentiellement sur les nombreuses filles qui offrent leur charme « Online ». Le porno à l’ancienne, comme l’explique judicieusement Christophe Bec, n’intéresse pour ainsi dire plus personne. Non, ce que réclament des millions d’internautes à l’échelle mondiale, c’est de l’interactivité avec la fille de leur rêve.

Via une Webcam, le client dépense, dépense et dépense encore plus que si il consommait des prostituées pour de vrai. Comme quoi le rêve dépasse souvent l’étreinte de la réalité. Parfois relié par une connexion internet à des milliers de kilomètres dans un autre continent. Le plaisir n’a pour ainsi dire pas de limite et les cam girls prennent moins de risque que pour des passes parfois gênantes ou dangereuses. Ainsi, tout le monde y trouve son compte. Bref, voici en amont, le rapport de Sector 5.

Mais Christophe Bec n’en reste évidemment pas à ce stade prototype scénaristique. Il y insère avec un certain calcul maitrisé de sa part, un tueur en série qui s’en prend aux hommes, les émasculant et énucléant leurs yeux.

C’est plutôt sordide et détaillé, comme pour un roman de Franck Thilliez. Aucun détail n’est épargné de même qu’aucun organe, génital ou autre. L’ambiance du récit de plus de 95 pages se veut glauque à souhait, combinant les vies extrêmes de certaines jeunes femmes offrant leur charme à des types à l’autre bout du globe, mais tout autant dégoutées par certains d’entre eux que si elles avaient un réel rapport sexuel.

D’autres filles qui osent doubler l’organisation maffieuse se retrouvent balancées à même la rue, en petite tenue, à la vue de flics totalement blasés. Autant dire que ça envoi du lourd, et bien plus, car comme le mentionne le scénaristique en début d’album : cet ouvrage  a pu voir le jour lors de ses longs séjours à la capitale et grâce à son épouse roumaine Raluca Loana Elena Nitescu, qui lui a fourni une foule de détails plus que nécessaires à la réalisation de ce polar urbain.

Indépendamment de la violence et de la folie qui règnent entre ces pages, conclusion d’une certaine authenticité au monde réel, on ne peut que féliciter les deux auteurs pour ce direct dans les gencives. Parmi la myriade d’albums parus lors de ces derniers mois, pour la majeure partie insignifiante, qui font juste office d’empiler des bibliothèques en hauteur, grisées par des toiles d’araignées ; ce one shot navigue certes en eaux plus que nébuleuses  mais résonne on ne peut plus juste. On ne peut qu’encourager Bec à poursuivre dans cette nouvelle voie, avec cette résonnance d’un Thilliez ou d’un Maxime Chattam, qui plonge et immerge le lecteur dans une obscurité quasi claustrophobique.

Pour accompagner ce récit dantesque, il était nécessaire également que la partie graphique soit au rendez-vous. Un dessinateur roumain au trait enivrant et exaltant : Christian Pacurariu qui, planche après planche, suscite un grand intérêt. La folie humaine y est détaillée à l’extrême, le désespoir transpire sur des faciès désarticulés d’une existence à tambour- battants.

Dans Sector 5, personne n’est épargné. Femmes comme hommes ne capitulent jamais, mais leur survie porte l’aigreur de leurs années. Et l’inspecteur Marian Ferentari, au cœur de cette enquête n’est nullement épargné. Les aficionados apprécieront également les échanges verbaux, souvent au-delà de la limite humaine. Voici pour le moins un album et des auteurs qui n’ont pas froid aux yeux !

Enfin, un certain parallélisme avec l’œuvre phare de Shohei Manabe, à savoir Ushijima, l’usurier de l’ombre, peut retrouver de nombreuses similitudes. Le Japon tout comme la Roumanie sont deux endroits magnifiques avec de nombreux individus exemplaires. Et une fois que l’on vagabonde dans les entrailles underground de Tokyo et de Bucarest, on y décèle des vampires assoiffés d’hémoglobines.  Shohei Manabe tout comme Christophe Bec se sont renseignés comme il se doit avant de pondre leur ébauche. Un travail d’arrache-pied exemplaire !

Fort heureusement, la BD n’est pas totalement morte et ça fait un bien fou !

Les déviances humaines, les comportements intrinsèques, la survie au-delà de l’incompréhension. L’humain dans toute sa splendeur et sa folie intérieure, une espèce diablement nuisible pour son prochain, n’est-il pas ?!

Coq de Combat

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