Ces jours qui disparaissent

Scénario : Timothé Le Boucher
Dessin : Timothé Le Boucher
Éditeur : Glénat
192 pages
Date de sortie :  septembre 2017
Genre : roman graphique, fantastique


« Sérieux ? tu serais assez vicieux pour trafiquer la date partout juste pour gagner ton pari ? »

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Présentation de l’éditeur

Que feriez-vous si d’un coup vous vous aperceviez que vous ne vivez plus qu’un jour sur deux ? C’est ce qui arrive à Lubin Maréchal, un jeune homme d’une vingtaine d’années qui, sans qu’il n’en ait le moindre souvenir, se réveille chaque matin alors qu’un jour entier vient de s’écouler. Il découvre alors que pendant ces absences, une autre personnalité prend possession de son corps. Un autre lui-même avec un caractère bien différent du sien, menant une vie qui n’a rien à voir. Pour organiser cette cohabitation corporelle et temporelle, Lubin se met en tête de communiquer avec son « autre », par caméra interposée. Mais petit à petit, l’alter ego prend le dessus et possède le corps de Lubin de plus en plus longtemps, ce dernier s’évaporant progressivement dans le temps… Qui sait combien de jours il lui reste à vivre avant de disparaître totalement ?

 

Mon avis

Entre récit fantastique et chronique sociale psychanalytique, ce roman graphique de 192 pages se pose comme un ovni dans les rayonnages des librairies.

Lubin, jeune artiste de cirque s’aperçoit un beau jour qu’il ne vit qu’un jour sur deux. Pourtant, ses amis le voient les jours où il n’est pas là. Ils le voient mais ça n’est pas lui, même si c’est le même corps et s’il habite au même endroit. Cet autre Lubin ne reconnait pas ses amis, n’est pas artiste de cirque et se demande même au début ce qu’il fait là.

S’instaure alors un dialogue entre les deux Lubin via une webcam. Les deux se découvrent, apprennent à se connaitre, à cohabiter. Ils s’organisent. Tout va bien jusqu’au jour où l’autre Lubin prend de plus en plus de place et de jours au vrai Lubin. Mais finalement, qui est le vrai Lubin ?

La frontière entre le fantastique et la schizophrénie s’étiole au fil des pages et de l’histoire. Timothé Le Boucher lance une foule de questions existentielles en décrivant par le détail le quotidien de ses personnages, les ancrant avec force dans la vie réelle. On voit naitre alors le conflit entre les deux Lubin qui ont des personnalités radicalement différentes et opposées. Les contraires souvent s’attirent et parfois s’opposent et se repoussent.

Le malaise est grandissant au fil des pages, pour les personnages et pour le lecteur qui finissent par se demander qui est le vrai Lubin.

L’auteur n’apporte pas vraiment de réponse, c’est là tout l’intérêt et l’essence même de ce livre. Les questionnements sur l’identité, la place dans la société, l’aliénation du travail et l’ambition, le regard des autres et l’utilité que la société veut bien accorder à l’un ou à l’autre, la culpabilité, occupent de plus en plus d’espace dans le récit et dans la tête du lecteur.

Sommes-nous bien à notre place dans la société, et sommes-nous vraiment ce que nous voulons être ? La société n’exerce-t-elle pas trop de pression sur chacun d’entre nous pour nous mettre dans des cases des quelles ont n’aurait pas trop intérêt à sortir ? Avons-nous tous la même utilité dans la société ? A chacun de trouver sa réponse…

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Les 200 pages s’avalent d’un coup. Timothé le Boucher a trouvé le truc pour simplifier la narration : on ne voit jamais l’autre Lubin, si ce n’est dans les échanges vidéos. Si ce parti pris permet de simplifier la lecture, il permet aussi de semer le doute auprès du lecteur sur la dualité et la vraie personnalité du personnage. C’est très fort, et jusqu’à la dernière case le doute subsiste. L’autre point fort est l’art de l’ellipse poussé à son paroxysme. J’ai rarement vu dans une BD les blancs entre les cases avoir autant d’importance et prendre autant de place dans le récit. L’ellipse est un élément majeur de la narration en BD, et elle est ici maitrisée à la perfection.

C’est d’un trait léger, fin et aéré que Timothée Le Boucher met son histoire en images. Sans fioritures il décrit un univers précis donnant à son récit une dimension très réaliste. Avec ce style, il installe une autre dualité dans la lecture : un dessin léger et épuré pour une histoire complexe et grave.

Avec Ces jours qui disparaissent , Timothé Le Boucher nous offre l’un des plus intrigants albums de cette année, mais aussi l’un des plus réussit.

Loubrun

6 commentaires sur “Ces jours qui disparaissent

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  1. Chouette à vous de mettre en avant un des plus incroyables scénarios (et surtout « découpages ») de ces derniers mois! En effet, Timothy pratique l’art de l’ellipse et ce récit est incroyablement rythmé. On a droit à quelques « plot points » inouïs et (je l’ai observé chez d’autres), on fait de grands yeux éblouis et étonnés en lisant… non, en avalant ce récit. Je trouve l’impact plus marquant encore que pour certains films abordant de près ou de loin ce même sujet. Les couleurs (et parfois le dessin) me plaisent un peu moins, mais Loubrun le met en évidence, c’est là un contrepoint intéressant, quand on pense à la force de l’enjeu, au sujet du livre. Moi c’est 5/5 en scénario!

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  2. Je viens de le lire et j’ai été agréablement surpris par l’histoire intrigante qui m’a rappelé un film sur le même thème qui m’avait marqué (Identity). J’ai donc finalement voté pour lui au Samb’or comme aux BDGest’arts.

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